Hommage à Sri Sri Sri Saccidananda Yogi de Madras
Hommage à ce yogi du fond des âges ! Hommage à sa connaissance intemporelle !
En cette époque de communication, il avait fait voeu de silence absolu. C’était l’une de ses contraintes spirituelles, c’était aussi un moyen original d’enseigner par la pratique et l’exemplarité.
Il était considéré par ses compatriotes indiens comme un véritable ” rishi ” des temps védiques qui avait traversé les époques pour témoigner que cette forme de réalisation spirituelle a bien existé, et qu’elle est transmissible aux contemporains que nous sommes.
Il a grandi dans la tradition dravidienne et la culture Telugu. Ses pérégrinations l’ont amené, comme tous les yogis itinérants, à parcourir l’Inde éternelle dans tous ses lieux sacrés et ses centres spirituels. Il s’est ensuite fixé à Madras pour y enseigner le yoga et recevoir ses disciples.
Shri shri shri Saccidânanda Yogi était le dernier des grands yogis du 20ème siècle. Je rappelle pour mémoire quelques unes de ses réalisations ascétiques pour bien faire comprendre la valeur de ses pratiques et leur adéquation avec les traités de yoga : jeûne de 24 mois, samâdhis répétés de plus d’un mois, visualisation du soleil trois heures par jour, chaque posture inversée, elle aussi pratiquée trois heures quotidiennement, etc.
Ce qu’il nous enseignait n’était donc pas de l’ordre de la théorie.
Certes la tradition yoguique est encore vivante en Inde par ses sâdhus errants et ses sages reclus, mais svâmiji était le seul à la transmettre à des disciples occidentaux. Après une longue réflexion, il avait accepté de quitter périodiquement le sol indien pour répondre aux invitations européennes.
La marque de son élévation spirituelle se traduisait par une absence totale de propriété. Même l’ashram de Madras où il a si longtemps enseigné ne lui appartenait pas. Sa générosité était sans limite. Ce qu’il recevait en donation, il le redistribuait immédiatement. Il se chargeait d’énormes valises pour venir en Europe et chacun de ses disciples recevait des vêtements, des bijoux et des confiseries pour les enfants, des épices et de la nourriture. Cette générosité matérielle trouvait son équivalent dans ses enseignements polyvalents, pour ceux qui étaient capables de les assimiler.
Svâmiji possédait trois modes de communications distincts:
Le premier, le plus accessible, était le mode pratique.
” Faites ce que je vous montre, avec moi, en même temps que moi, et laissez-vous porter par ma présence ! N’ayez crainte ! Pratiquez en toute confiance et vous repousserez vos limites pour votre plus grand bien ! Mais d’abord, mangez moins et travaillez plus ! “
Ce yoga n’était pas pour les tièdes ni pour les bavards mais il détenait une réelle puissance d’éveil.
Le deuxième niveau de communication passait par l’écrit. Svamiji était un érudit télugu. Il s’exprimait par écrit dans une langue littéraire assez difficile à comprendre pour ses compatriotes, et d’autant plus difficile à traduire aux occidentaux. Grâce à lui, nous voyagions mentalement dans les Epopées et les Purâna ; nous devenions familiers des rois légendaires et des ascètes héroïques. Lui-même n’était-il pas fait de ce même bois, tant il leur ressemblait, par son aspect physique et sa détermination surhumaine ? Le roi Janaka semblait être son compagnon le plus fidèle parmi les personnages des anecdotes qu’il choisissait de nous raconter pour nous éduquer dans la réalité présente. Cette forme d’enseignement avait le pouvoir de dissoudre le temps historique, tout comme de l’étirer dans son instantanéité. Ainsi, pouvions-nous passer dix heures sans interruption pour une seule et même conversation.
Le troisième mode était d’un ordre spirituel, non verbal et indépendant de tout enseignement pratique.
Lorsqu’il posait ses yeux sur nous, il nous regardait dans notre transparence. Il nous mettait à nu, y compris dans le passé et le futur, sans jamais nous blesser dans notre intimité. Il avait le pouvoir de lire tout ou partie de nos trajectoires individuelles, mais il avait renoncé à nous en révéler la teneur ou les détails. Il nous aidait simplement à accomplir notre destin. Cet aspect relationnel ne se manifestait qu’auprès de ses disciples. Svâmiji n’avait aucun goût pour la séduction de masse ou la démonstration de prestige. Il préférait les comités restreints, avec des disciples capables de tenir une ascèse et de respecter leurs engagements. C’est pourquoi la plupart des hommes et des femmes qui l’ont croisé un jour ou l’autre dans le monde du yoga en sont restés à la vision trompeuse d’un yogi de l’extrême, au comportement très surprenant et aux exigences techniques trop élevées. Mais il n’en était rien, car derrière la façade traditionnelle se cachait un homme de coeur et d’éveil. Son regard en témoignait. Lorsque nous nous trouvions dans sa périphérie, ou dans son ” périmètre énergétique “, nous étions alors saisis au plus profond de l’âme, envahis par une vague de bonheur et de paix, reconnaissants par le coeur, muets par la pensée et figés dans un corps transfiguré. Ce darshan était celui d’un maître authentique, portant la promesse de l’éveil et témoin d’une réalité qui dépasse les contingences quotidiennes.
Il subsiste aujourd’hui cette puissance d’éveil, cette communication spirituelle et subtile qui nous accompagne et persiste au-delà de sa présence physique.
De leur côté, ses disciples de coeur sauront bien transmettre les enseignements pratiques d’une valeur inestimable qu’il a su leur léguer patiemment.